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jeudi 16 février 2012

"Au delà", par les ballets Cde la B

Qu'y a-t-il après la vie ? La nouvelle création proposée par  Koen Augustijnen et les Ballets C de la B, présentée cette semaine au KVS de Bruxelles, explore avec douceur cette question traumatisante.



L'au delà selon Koen Augustijnen,  c'est "après l'arc-en-ciel", "over the rainbow". Le spectacle commence par une vidéo volontairement maladroite qui rend compte d'une expérience d'extase quasi-nirvanesque, associée au phénomène météorologique. Cet arc est une limite spatiale qui, matérialisée par une colonne verticale de fleurs colorées, revient ensuite comme unique élément de décor, engloutie par la terre à ses extrémités, dont les six personnages vont s'extraire, comme s'ils sortaient véritablement de la terre au moment de leur résurrection.

L'au delà selon Koen Augustijnen, ce n'est pas le monde éthéré, vaporeux, désincarné des âmes sans corps, mais bien un monde physique, sensoriel et coloré.  Les six êtres qui ont " accompli le grand voyage" sont incarnés : essoufflés, troublés,gênés, il semblent parfois souffrir, parfois au contraire habiter pleinement leurs corps, pour finir par trouver progressivement, comme à tâtons, une harmonie nouvelle.

L'au delà selon Koen Augustijnen semble être caractérisé avant tout par l'absence du devenir et l'impossibilité de modifier ce que l'on a été. Dans cette perspective "existentialiste" - un des danseurs fait une référence explicite à Huis-clos -, des personnages prennent tour à tour la parole pour rapporter des fragments de leurs vies, évoquer la mort de leurs proches ou tout simplement dire ce qu'ils ressentent.

Le spectacle semble buter sans cesse sur une barrière difficile à franchir, un mur insoluble. Les personnages ont accompli un voyage, mais ils ne sont pas encore arrivés. Plus que la mort finalement, c'est la question du passage qui est abordée, et à travers elle, celle du devenir, du vieillissement, de l'impossibilité d'une permanence. 

"L'au-delà" a tout du sujet parfait pour une création chorégraphique. La danse en effet semble à même de rendre compte d'un mouvement qui n'est plus en direction d'une action, d'une histoire, mais qui ne va nulle part. Elle permet d'installer sur scène une réalité autre qui fait fusionner le temps et l'espace.
 
Au delà,  dont la première a eu lieu le 1er février dernier à Guimaraes (Portugal), est actuellement présenté en Belgique, et sera ensuite dansé sur plusieurs scènes européennes.C'est un travail abouti, sur un sujet métaphysique, avec des interprètes excellents. Nul doute que l’œuvre aura le succès qu'elle mérite. 

Pour voir le calendrier de la tournée, cliquer ici

mardi 7 février 2012

Valse des flocons de neige

 
Une petite valse de saison...

La "Valse des flocons de neige", du ballet Casse-noisette*, est un des moments les plus célèbres du ballet de Mairus Petipa,  C'est aussi le "passage blanc" du ballet, qui peut être rattaché assez directement à la tradition du ballet romantique. Il marque la transition de la réalité au songe : un soir de Noël, la petite Clara (Marie dans certaines versions) voit le casse-noisette qu'elle vient de recevoir en cadeau de la part de son parrain Drosselmeyer se transformer en prince et la conduire dans le royaume enchanté de Confituremburg. 

La "Valse des flocons de neige" marque la fin de l'acte II, donc la fin du monde "réel" et le début de la féerie.

*ici dans une version du  Kirov-Marinski (Saint-Petersbourg).


dimanche 5 février 2012

Argument de "La Bayadère"

Argument de Marius Petipa et Sergueï Khoudekov, 1877
Acte I
Premier tableau- Dans la forêt sacrée, à l'extérieur d'un temple indien

Un noble guerrier, Solor, veut offrir au rajah ka dépouille d'un tigre et envoie ses amis à la chasse, tandis qu'il reste près du temple pour essayer de rencontrer en secret sa bien-aimée Nikiya, l'une des bayadères, danseuses qui gardent le feu sacré.

Le Grand Brahmane avoue à Nikya qu'il éprouve de l'amour pour elle. Choquée de cette déclaration, la bayadère lui rappelle qu'il est un prêtre et un haut dignitaire. Elle le repousse.

Nikya, en donnant à boire au fakir, apprend que Solor n'est pas loin, et qu'une fois la cérémonie terminée, il viendra la retrouver.

Solor fait le serment sur la flamme sacrée qu'il aimera toujours Nikya;

Le Grand Brahame les surprend et en conçoit de la jalousie.

Le fakir prévient Nikya et Solor de la présence du prêtre. Ils se séparent.

La Grand Brahame jure de se venger.

Second tableau - Dans le palais du Rajah


Le Rajah de Golconde, au cours d'une fête,  offre la main de sa fille Gamzatti à Solor. Celui-ci, tenu par son serment fait à Nikiya, ne veut pas accepter, mais il est obligé d'obéir au Rajah.

Le Rajah a convié les kshatratriyas, amis de Solor, et invite la bayadère Nikiya à se produire pour bénir les fiançailles. Solor se dissimule pour ne pas être vu de Nikiya. 

Le Grand Brahmane vient trouver le Rajah pour lui révéler les relations secrètes entre Solor et la bayadère Nikiya. Furieux de voir ses projets contrariés, le Rajah décide de faire disparaître la bayadère. Le Grand Brahmane, qui souhaitait nuire à son rival, n'avait pas prévu ce coup funeste qui retombe sur Nikiya.

Gamzatti, surprenant cette conversation, fait venir Nikiya pour lui annoncer ses fiançailles et pour lui monter le portrait de son futur époux. Nikiya refuse de croire Solor parjure. Les deux rivales se querellent. Gamzatti va même jusqu'à offrir des bijoux à Nikiya pour qu'elle renonce à Solor.  Nikiya menace Gamzatti d'un poignard mais une servante retient son bras.

Gamzatti songe à se débarrasser de la bayadère insolente.

Acte II 

Les fiançailles de Gamzatti et Solor


Le Rajah a convié son peuple à se réjouir pour les fiançaille de sa fille : les danses se succèdent.
Pendant la fête, Nikiya est amenée à danser devant les invités. Aiya, la servante de Gamzatti, présente à la bayadère une corbeille de fleurs. Elle cachait un serpent qui pique mortellement Nikiya.
 Le Grand Brahmane intervient pour offrir à Nikiya un contre-poison, si elle accepte d'être à lui. Nikiya -voyant Gamzatti retenir Solor - se laisse mourir, en appelant la colère des dieux sur les responsables de son trépas.



Acte III

Premier tableau : la chambre de Solor

Solor, désespéré par la mort de Nikiya, Solorse réfugie dans les songes que lui procure l'opium.

Deuxième tableau : le Royaume des Ombres

Solor voit -longue procession hypnotique - les fantômes des bayadères mortes lui apparaître : parmi elles, Nikiya, qui lui pardonne.
Et dans ce rêve, les voilà à nouveau réunis.


samedi 4 février 2012

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement (V)

L’œuvre et son évolution : du contrôle strict à la création renouvelée

La nécessité d’une évolution du patrimoine chorégraphique

Cette question des droits de représentation a pour enjeu celle de l’évolution de l’œuvre, liée à la multiplicité possible de ses interprétations (au sens large du terme).
 En effet, il est assez habituel que la création chorégraphique procède par strates, tant du point de vue d’un style que d’une œuvre : on crée sa propre chorégraphie sur un canevas existant, ou « dans le style » d’un auteur. Certes, il en est de mêmes pour les autres arts, mais la danse, notamment en ce qui concerne les œuvres du répertoire classique, procède tout particulièrement par emprunts, ajouts, marques de la « patte » d’un chorégraphe sur une œuvre déjà existante. C’est un art où la notion d’un patrimoine commun, mouvant et évolutif apparaît tout particulièrement.


                                                                                                         
Partimoine commun et propriété : points de vues de danseurs

Maria Clara Villa-Lobos, chorégraphe-interprète:
« J’ai du mal à concevoir que l’on puisse revendiquer un droit de propriété par rapport à des mouvements, à une chorégraphie. C’est beaucoup moins concret qu’un texte ou une musique. L’apprentissage de la danse est déjà une question de copier/coller. La copie, le mimétisme sont à la base même du vocabulaire de la danse. Je me vois donc difficilement réclamer la maternité de tels ou tels mouvements. »

Patricia Kuypers, chorégraphe-interprète: « Les choses et les idées circulent tellement qu’il me paraît difficile de dire: “Ça, c’est  à moi”. Qui est à la source de quelle idée? Qui copie qui copie?  La création, quelque part, ce n’est que cela: reprendre les inventions des autres, essayer de les retravailler et de les emmener ailleurs. »
                                                                                                                                                    
Le droit moral, obstacle à l’évolution ?

Les juges reconnaissent à l’auteur le droit d’interdire la représentation de son œuvre, si la représentation porte atteinte au droit moral de l’œuvre : ainsi, en matière chorégraphique, une jurisprudence de fait état de l’interdiction de la reprise d’une œuvre parce que l’interprète en a modifié un pas :

 « Attendu que, ce faisant, au risque de créer une confusion dans l’esprit des spectateurs une confusion entre l’œuvre annoncée et le pas différent introduit par elle, la demoiselle Soutzo a porté atteinte au droit moral de la demanderesse, l’auteur d’un ballet comme celui d’une œuvre littéraire, dramatique ou musicale ayant le droit absolu de s’opposer à toute altération, correction ou addition,  si minime qu’elle soit, susceptible de dénaturer sa pensée  ».

On pourrait donc craindre à première vue que le droit moral soit particulièrement inadapté à l’évolution du patrimoine chorégraphique.
Cependant, on constate que généralement, pour la reprise d’œuvres déjà anciennes, notamment dont les droits patrimoniaux sont éteints,   les tribunaux ont une interprétation du respect du droit moral de l’œuvre favorable à la création nouvelle, qu’il s’agisse de théâtre, d’opéra ou de danse, afin de permettre des mises en scènes qui renouvellent la lecture d’une œuvre.

Les problèmes posés par le copyright

Or, si la loi française facilite ainsi la reprise d’œuvres anciennes, il n’en est pas de même partout : ainsi, aux Etats-Unis, la politique de « licences » est confiée à des organismes privés, qui gèrent différemment leur politiques de cessions de droits de représentation.

Celles-ci effectuent généralement  contrôle strict de la représentation de l’œuvre chorégraphique.

Le Balanchine Trust, par exemple,  est une organisation créée en 1987 par les héritiers du célèbre  chorégraphe américain George Balanchine (décédé en 1983).  Elle a fait de « Balanchine » une marque déposée. Elle gère les droits de représentation de l’œuvre du chorégraphe à travers le monde, qu’elle n’accorde qu’aux compagnies les plus prestigieuses. Il est impossible d’acquérir les droits de représentation sur une longue durée : chaque série de représentations doit être renégociée.  Surtout, chaque représentation occasionne la délégation d’une équipe de membres de la fondation qui a pour mission de surveiller la mise en scène, les lumières et les décors, chaque fois qu’une chorégraphie de Balanchine est programmée : elle a donc une vocation que l’on qualifierait en France de « morale » (respect de l’intégrité de l’œuvre) et elles perçoit également les droits patrimoniaux. Cependant, il faut souligner que le caractère « moral » du droit que les ayants droits s’arrogent est tout relatif car ils vont à l’encontre de la volonté du chorégraphe, qui déclarait de son vivant : "Quand je ne serai plus là, tout doit disparaître ».
Autre exemple, La Cunningham Dance Foundation, qui cède les droits de représentation sous forme de « choregraphy licences » à la durée limitée (en cela très similaires au droit français), soumet son autorisation à des conditions précises : apprentissage ou approfondissement de la technique Cunningham, transmission par un collaborateur de Merce Cunningham, obligation de montrer l’œuvre pour la faire « valider » avant la première représentation.

                                                                                                                                          
Le cas du Palais de Cristal de G. Balanchine

Le contrôle  du Balanchine Trust va très loin, ainsi qu’on peut le voir dans le cas du « Palais de Cristal » : ce ballet a été  monté spécialement par G. Balanchine  pour le Ballet de l’Opéra de Paris en 1947, dans des décors et costumes de Léonor Fini, très colorés. En 1948, le chorégraphe monte aux Etats-Unis la même chorégraphie, cette fois présentée sans décor ni costumes, en simples maillots blancs et noirs, sous le titre de Symphony in C.
 C’est actuellement la seule version autorisée par le George Balanchine Trust de New York, qui n’a pas accordé  à l’Opéra de Paris l’autorisation de remonter Le Palais de Cristal dans sa  première version française.
                                                                                                                                
On voit à travers les exemples cités que les deux fondations n’envisagent pas de la même manière leur politique de licence. Dans le cas du Balanchine Trust, l’œuvre chorégraphique est conçue comme figée dans le temps : il est impossible de ne pas la représenter autrement que comme exacte réplique de la version enregistrée par le Balanchine Trust. Le contrôle du Balanchine Trust freine donc toute possibilité d’évolution, reprise, transformation des œuvres de Balanchine. 
                                                                                                                                  
                Fractions  de Merce Cunningham
Une chorégraphe contemporaine française, Julia Cima, souhaitait monter une œuvre intitulée « Visitations », sous forme d’hommage à plusieurs chorégraphes dont la technique a marqué l’histoire de la danse. D’un point de vue juridique, “Visitations” était une œuvre dérivée (réalisée à partir d’œuvre préexistantes), à caractère composite (qui incorporait différentes œuvres). Elle souhaitait pour cela reprendre un solo extrait de Fractions, œuvre  du chorégraphe  Merce Cunningham. La Cunninghmam Dance Foundation lui a accordé une « chorégraphy licence » d’une durée de trois ans, à condition qu’elle accepte que la technique lui soit transmise par une proche collaboratrice du «maître», Jeannie Steele, et que son travail soit a posteriori validé  par Merce Cunningham lui-même.
                                                                                                                                 

A l’inverse, on voit donc que même si l’appropriation de l’œuvre de Merce Cunningham semble très strictement encadrée, réglementée, elle peut se faire dans un cadre évolutif, en étant par exemple incorporée dans une œuvre composite. La Cunningham Dance Foundation offre un exemple de gestion du rapport de l’auteur à l’œuvre qui permet sa transmission, donc sa perpétuation et son évolution.

vendredi 3 février 2012

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement (IV)

La représentation de l’œuvre chorégraphique et la notion de répertoire

Pour créer une œuvre chorégraphique, il faut  s’assurer de la collaboration d’un chorégraphe, non pas seulement  sur le moment, par un contrat de travail (ce n’est pas parce qu’il y a  contrat de travail, qu’il y a droits d’exploitation de ce travail), mais aussi par un contrat de cession de droits de représentation qui peut être envisagé sur une période plus longue que la simple collaboration et qui autorisera l’entrepreneur de spectacles à exploiter la création de l’auteur.

Une compagnie qui souhaite représenter une œuvre doit obtenir l’autorisation de tous les auteurs de l’oeuvre. Cette demande peut être acceptée en exclusivité. .
La demande est transmise à l’auteur, accompagnée d’une proposition de conditions financières de perception des droits ; l’auteur décide, ensuite, de donner son autorisation ou non. Si la réponse est positive, un contrat de représentation est conclu, si elle est négative une interdiction d’exploiter cette oeuvre sera adressée à la compagnie.
Ce point semble parfois oublié, comme le montre l’exemple du Ballet national de Marseille. 

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Le cas du Ballet National de Marseille

La situation tourmentée qui a été celle du Ballet national de Marseille mérite d’attirer l’attention. En effet, après le départ en 1998 de son directeur et chorégraphe attitré Roland Petit, puis en 2004 de sa remplaçante Marie-Claude Pietragalla, la compagnie s’est à deux reprises trouvée privée de « répertoire », c'est-à-dire que le nouvel administrateur n’avait plus, juridiquement, la possibilité de faire représenter des œuvres qui avaient été créées à l’origine pour la compagnie. Les départs des deux chorégraphes ont eu lieu ddans mauvaises conditions, à la suite de contentieux (changement d’adresse fiscale pour R. Petit, grève des danseurs pour M-C Pietragalla).
Dès lors, ils ont tous deux décidé de priver leurs anciennes compagnies des ballets dont ils étaient, sans aucun doute, les auteurs. 
Le problème réside dans le fait qu’un ballet « national » a pour mission définie par le ministère de la Culture  de « créer  et faire vivre » un répertoire contemporain. Or, une structure qui risque de perdre ses ballets à chaque départ de chorégraphe ne peut guère assurer cette mission.
                                                                                                                                                         

Comment une troupe dite « nationale » peut-elle se trouver, comme cela a été le cas pour le Ballet de Marseille, privée de son répertoire ? Y a-t-il contradiction entre la notion « répertoire » telle qu’elle continue à être utilisée en danse et ce que permet le droit ? Le droit permet-il la création d’un répertoire ?

Le « répertoire », une notion propre au monde de la danse

Certes, la notion de répertoire existe aussi dans le monde de la musique ou du théâtre, mais elle désigne alors plus souvent le « grand répertoire » classique, pour lesquels ne peuvent guère ne se posent que rarement des problèmes relatifs à des droits patrimoniaux, ou même moraux (on voit rarement une association  assigner en justice un metteur en scène novateur au motif qu’il porte atteinte à l’intégrité de l’œuvre).
Seule peut-être la Comédie française continue à fonctionner comme une compagnie de théâtre «  de répertoire », à la manière des compagnies de danse, c’est-à-dire par une politique de constitution d’un ensemble d’œuvres qu’elle est à même de représenter.
Cette notion est très importante dans le cadre de la danse, puisqu’elle est très liée à celle de compagnie qui, pour vivre en tant que telle, doit constituer un répertoire (tandis que, par exemple, dans le domaine du théâtre, on a de moins en mois de troupes fixes).

 Une compagnie de danse a plusieurs façons d’enrichir son répertoire : elle  peut s’associer à un chorégraphe afin qu’il vienne pour elle monter un nouveau ballet, on aura alors une « création pour la compagnie *****. » Il peut aussi s’agir d’une œuvre déjà existante que le chorégraphe vient (re)monter  avec la compagnie en question. Il peut s’agir également, plus rarement, d’une œuvre d’un chorégraphe disparu que la compagnie décide de reconstituer, auquel cas elle fait appel à un spécialiste de l’époque ou du chorégraphe disparu.

Le répertoire, une notion juridique ?

 Or, juridiquement, il faut, pour représenter une œuvre, établir un contrat de représentation entre le producteur ou diffuseur de cette œuvre et son auteur. Selon l’article L 132-18 du CPI, « le contrat de représentation est celui par lequel l'auteur d'une oeuvre de l'esprit et ses ayants droit autorisent une personne physique ou morale à représenter ladite oeuvre à des conditions qu'ils déterminent. ». L’article L132-19 précise : « Le contrat de représentation est conclu pour une durée limitée ou pour un nombre déterminé de communications au public. »
    Cependant, la notion de répertoire est prévue par le droit, puisque l’article L 132-18 introduit également la qualification de « contrat général de représentation », défini comme un contrat par lequel un organisme professionnel d'auteurs confère à un entrepreneur de spectacles la faculté de représenter, pendant la durée du contrat, les oeuvres actuelles ou futures, constituant le répertoire dudit organisme aux conditions déterminées par l'auteur ou ses ayants droit. »
    Cette définition n’est pas sans poser de problème au droit, car elle introduit de nouveau une exception : « Dans le cas prévu à l'alinéa précédent, il peut être dérogé aux dispositions de l'article L. 131-1. » Ce dernier article est en effet un principe d’ordre général, qui énonce que  « la cession globale des oeuvres futures est nulle. »
Pour faire entrer la notion de « répertoire » dans le cadre juridique, on doit donc faire une exception à un principe.

Mais le droit permet bien la création d’un répertoire. Pour que celui-ci demeure, il faut convenir d’une durée assez longue, proche de la durée des droits patrimoniaux, qui garantit la stabilité des droits de représentation indispensable à la notion de répertoire.
Néanmoins, le droit ne permet pas la constitution d’un répertoire exclusif, sauf bien sûr dans le cas d’une entente avec le chorégraphe qui dans ce cas ne cède les droits de représentation des œuvres qu’il a créées à aucune autre compagnie.

La transmission d’une œuvre, une pratique éloignée du CPI

Dans le cas du Ballet National de Marseille, il n’existait pas de contrat entre l’association et Roland Petit : très étonnamment, aucun contrat de représentation n’avait été conclu.  Le problème n’a donc pas tenu à une insuffisance juridique mais à une faute des administrateur qui ont négligé ce « détail », tant il leur semblait évident que les ballets créés par le directeur de la troupe pouvaient être représentés par cette troupe.

Cette négligence peut tenir à deux facteurs :

-Une raison  d’ordre « institutionnel » : le ballet national de Marseille, malgré son appellation, est une association de droit privé, déclarée selon la loi de 1901. Or, la loi prévoit un régime dérogatoire pour les structures de droits public (commande d’Etat) qui s’applique, par exemple, au Ballet de l’Opéra de Paris (qui est un EPA). Ces structures ont la possibilité de déroger au droit commun de la propriété intellectuelle car on considère que les oeuvres ont été établies dans le cadre d’une mission de service public. Il a donc pu y avoir confusion.

- Une raison d’ordre sociologique ou technique, liée à la nature «  chorégraphique » de l’œuvre et du travail fourni : quand en effet on acquiert par contrat le droit de représentation d’une œuvre théâtrale ou chorégraphique, cette œuvre est fixée sur un support : une partition, un texte. Dans le cas d’un chorégraphe, il n’y a généralement pas pour lui de création possible sans danseurs ni pour la compagnie de répétitions et donc de représentations possibles sans l’aide du chorégraphe : même dans le cas où l’œuvre a été notée ou précédemment  représentée et enregistrée, il est difficile, d’un point de vue technique,  de la (re)créer sans l’appui du chorégraphe.
 Il n’y a donc pas acquisition  par une troupe d’un bien presque matériel qu’elle s’approprie comme bon lui semble, une fois le droit de représentation négocié, mais travail suivi et répété avec le chorégraphe qui occupe de fait une double fonction d’auteur ( auteur de l’œuvre originale ) et de metteur en scène : certes il existe aujourd’hui des auteurs de théâtre ui sont aussi metteurs en scène, mais la chorégraphique correspond à la situation où  une troupe de théâtre acquérrait des droits de représentation non seulement sur  le texte d’un auteur contemporain, mais également sur sa mise en scène.
Cette façon de travailler peut expliquer que les choses se passent de façon moins « formelle » car la troupe ne peut pas être totalement indépendante du créateur. Dans le cas où le chorégraphe est assigné à une troupe, dont il a personnellement la direction, on peut concevoir qu’il y ait un oubli de son indépendance en tant qu’auteur et de son droit  exclusif sur ses œuvres si la représentation n’en a pas été cédée.

Pour une compagnie de danse, « faire entrer une œuvre au répertoire » signifie avant tout s’assurer le concours d’un chorégraphe qui permettra concrètement, par son aide et sa présence, de monter le ballet. C’est pourquoi on entend souvent qu’un chorégraphe a « donné », « offert » ou « apporté » son œuvre à une compagnie.
Juridiquement, la constitution un répertoire correspond à des critères précis : cession du droit de représentation pour une durée limitée, même s’il elle peut être longue, ou cession globale, ou encore réponse à un objectif relevant d’une mission publique.

Bien sûr, il ne s’agit là que d’hypothèses, l’essentiel étant de montrer qu’il peut y avoir un décalage entre ce qui est prévu par le droit et la pratique réelle, même à un haut niveau.
De plus,  cette notion de transmission qui nécessite un travail « dans l’instant » opposé à la fixation sur un support introduit un autre problème, celui de l’interprétation de l’œuvre, cette fois non plus seulement dans sa création, mais dans sa représentation. 

La suite ici




mercredi 1 février 2012

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement (III)

 Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement: l’auteur et ses interprètes

Si certains metteurs en scène de théâtre sont réticents à se définir comme auteurs uniques de leur mise en scène, arguant du dialogue entre auteur et interprète (ainsi qu’avec d’autre auxiliaires de création)  qui est le ferment de la création au fur et à mesure de l’œuvre, la danse rend  est peut-être un domaine où cette convention est encore plus  problématique.

Fixation et notation du mouvement

Juridiquement, l’article L 112 2° du CPI énonce une  condition de fixation nécessaire à la protection de l’œuvre chorégraphique. Or, cette précision déroge au principe du droit, énoncé par l’article L 111 1° du CPI, selon lequel a protection d’une œuvre n’est pas soumise à à sa fixation (la fixation ne peut être exigée qu’à titre de preuve). En vertu de ce principe, une œuvre orale non fixée peut être protégée, même si la preuve de la contrefaçon sera difficile à produire.
    Mais pour le cas des œuvres chorégraphiques, la preuve par simple témoignage ne semble pas recevable : il faut une fixation, soit par écrit (notations chorégraphiques), soit par enregistrement. Ces deux moyens de « fixer » l’œuvre soulèvent des questions.
    En effet, s’il existe des systèmes de notation chorégraphique (notation Laban etc.), la question  même de savoir s’il est artistiquement pertinent de noter le mouvement est débattue entre les chorégraphes : la notation est-elle un simple aide-mémoire nécessaire à la réactivation de l’oeuvre, ou bien constitue-t-elle l’œuvre proprement  dite ? Pour certains, l’œuvre chorégraphique ne peut se transmettre que de maître à élève, elle n’existe que dans son interprétation. Force est de constater que le danseur ne travaille que très rarement sur une chorégraphie notée, comme le ferait un auteur sur un texte de théâtre ou un musicien sur une partition : il a besoin de la présence de quelqu’un qui connaisse la chorégraphie, soit parce qu’il en est l’auteur, soit parce qu’il l’a lui-même apprise : ainsi, pour reconstituer un ballet ancien perdu (faute de transmission au sein d’une compagnie), un chorégraphe pourra s’inspirer des documents anciens, archives, témoignages, mais s’efforcera également de trouver une personne susceptible d’avoir appris en son temps la chorégraphie d’un professeur qui l’avait lui-même apprise d’un professeur qui était l’élève du chorégraphe de l’œuvre d’origine….
On voit que le doit, dans sa condition de fixation, n’entre pas dans ce champ artistique.

Pour  la fixation par enregistrement se trouve également posé le problème de la différence entre l’œuvre et son interprétation : en effet, comment établir une distinction juridique entre les deux ? Comment définir le rapport auteur /interprète ? Aux deux sont reconnus des droits moraux,  respectivement par l’article L.121-1 (« L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. »)  et par l’ article L. 212-2. du CPI (« L'artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation.) Dans les deux cas, ce droit est « inaliénable et imprescriptible est attaché à la personne.
Il est transmissible aux ses héritiers. Dans bien des cas où la chorégraphie n’est pas notée, l’interprétation étant la seule preuve de l’œuvre chorégraphique, il peut devenir délicat  de séparer ce qui relève de l’œuvre et de son interprétation.
    Du point de vue du droit, on peut établir un parallèle entre cette condition de fixation qui semble nécessaire à ce que naisse une protection juridique de l’œuvre chorégraphique, et celle nécessaire à la naissance des droits voisins de l’interprètes. Ceux –ci en effet ne naissent qu’à partir du moment où il y a fixation sur un support  de la prestation : l’artiste devient  alors artiste interprète et titulaire de droits voisins du droit d’auteur. C’est la ré exploitation d’une prestation artistique qui génère un droit voisin.
   

Les apports respectifs du chorégraphe et de l’interprète

Ainsi, le problème dans le rapport auteur/interprète peut provenir de ce que de plus en plus, dans le travail chorégraphique, chorégraphie et interprétation se mêlent. En danse classique, le problème ne se pose pas car l’interprète est avant tout un exécutant (ce qui ne l’empêche pas d’avoir un travail artistique approfondi). Mais beaucoup de chorégraphes contemporains travaillent, au stade de l’élaboration de la chorégraphie, avec une « matière » personnellement apportée par le danseur.

Notamment, beaucoup font appel à l’improvisation : dans ce cas, faut-il conférer à celui qui improvise la qualité de co-auteur en plus de son statut d’interprète ?

Beaucoup d’artistes du monde chorégraphiques se définissent comme « chorégraphes-interprètes », travaillent en improvisant, seuls, et présentent des œuvres résultant d’une improvisation au public : on peut dès lors considérer leur improvisation comme une œuvre à partir du moment où elle est enregistrée. Il n’y a pas d’obstacle à  ce que ces danseurs peuvent se voir conférer la qualité d’auteur.
L’artiste qui improvise sous la houlette, les conseils, les indications d’un autre, ne verrait pas, quand à lui, son interprétation reconnue comme œuvre ?  Parfois, certains praticiens de la danse définissent le travail avec un chorégraphe comme un travail à partir d’improvisations communes. L’improvisation ne peut elle pas être considérée comme une véritable œuvre ? 


                                                                                                                                 

La relation auteur/interprète : points de vues de chorégraphes 

Karine Saporta, chorégraphe, directrice du Centre Chorégraphique National  de Caen : « Au début de mon travail avec des danseurs, je faisais appel à ce mot, devenu très galvaudé, répandu, qui est le mot improvisation (…). J’ai commencé à avoir des doutes sur ce concept et sur ce mot quand j’ai vu que changeant d’interprète, il y avait une permanence du style, de l’écriture, de l’aspect et de la teneur des spectacles. A priori, je laisse un champ très libre aux danseurs, mais changeant d’équipe, le travail ne change pas. Si les danseurs étaient effectivement des auteurs, ce phénomène ne se produirait pas. Si on regarde tous les chorégraphes qui utilisent des accouchements complexes de la matière, proche de l’improvisation (Pina Bausch et d’autres), on se rend compte du même phénomène, le style reste. »

Daniel Larrieu, chorégraphe-interprète, actuel administrateur délégué à la danse au Conseil d’administration de la SACD à Paris: « C’est une question de choix. Il y a des chorégraphes qui choisissent de partager leurs droits d’auteur non seulement avec leurs interprètes, mais aussi avec leur éclairagiste, un scénographe, un plasticien... Toutes les répartitions sont possibles, il faut simplement à chaque fois réfléchir aux implications qu’elles sous-tendent, trouver un accord entre les parties sur la répartition concrète des droits perçus et générer un contrat. »

 Patricia Kuypers, chorégraphe-interprète: « Étant, aujourd’hui, davantage dans l’improvisation (ou dans la création d’œuvres chorégraphiques qui utilisent l’improvisation), je suis assez éloignée de ce rapport chorégraphe/interprète et préfère interagir: me nourrir de la richesse des autres et réciproquement. Il me paraîtrait dès lors impensable de ne pas reconnaître aux interprètes leur part de création.»

Susan Buirge, chorégraphe-interprète, directrice artistique de la Fondation Royaumont, Centre de recherche et de composition chorégraphiques: « A mon sens, même si les improvisations créées par les interprètes d’une pièce interviennent dans sa construction, le chorégraphe reste pleinement l’auteur de cette pièce: la pensée, la vision de l’œuvre viennent de lui. »

Patricia Kuypers, chorégraphe-interprète : « Si un interprète vient me demander de partager avec lui les droits d’auteur, je crois que je n’aurais pas de problème avec ça, mais tout dépendra de la nature du projet et de son implication réelle dans le projet. (...) D’un autre côté, on peut se demander aussi où cela s’arrête? Quand un spectacle est présenté, le public interprète ce qu’il voit, donc lui aussi quelque part crée sa réalité du spectacle, en est quelque part l’auteur. Donc, on va partager avec le public aussi? Je plaisante... »

Thomas Hauert, chorégraphe-interprète au sein du collectif ZOO : «  Les interprètes avec qui je travaille ne sont pas simplement des interprètes, mais ils sont aussi créateurs, parce qu’ils participent réellement par leurs imput à l’élaboration de la pièce. Je trouve dès lors important qu’ils soient également reconnus comme créateurs en matière de droits d’auteur. »

Pour l’instant, il n’y a pas à proprement parler de problème juridique, dans le sens où le droit va clairement dans le sens d’une claire répartition des rôles, même lorsque le travail de l’interprète se confond, en pratique et dans l’élaboration du projet, avec celui de l’auteur.
L’arrangement semble se faire à l’amiable, selon les compagnies et leurs politiques propres. Mais on peut envisager que la question se pose un jour  en justice : un interprète pourrait demander à  être reconnu comme co-auteur et à se voir reconnaître des droits d’auteur en plus de ses droits voisions d’interprète.
                                                                                                                                                                

 Véronique Doisneau de Jérôme Bel

Le chorégraphe Jérôme Bel, invité à l’Opéra de Paris, crée une œuvre chorégraphique d’un genre particulier : il s’agit du monologue d’une danseuse de la troupe, Véronique Doisneau, élaboré conjointement par le chorégraphe et la danseuse à partir d’éléments biographiques très personnels, non transposables à un autre interprète. : en effet, dans le monologue d’une vingtaine de minutes, la danseuse raconte son parcours, évoque sa façon d’envisager la danse, ses ballets préférés etc. J. Bel explique avoir voulu pratiquer « l’entomologie » d’une danseuse de ballet. Ainis que l’exprime le critique Laurent Goumarre , dans cette œuvre, « le discours sur le statut d'auteur s'est déplacé sur celui d'interprète, jusqu'à opérer une superposition des deux: auteur et interprète ne font qu'un seul «titre», un discours et un programme chorégraphique révolutionnaire impensable dans l'économie des ballets classiques. »
Ainsi, le critère  d’originalité de l’œuvre ne réside pas dans les apports de l’interprète que dans la forme qui leur est donnée par le chorégraphe. Véronique Doisneau n’a donc pas le statut d’auteur de l’œuvre. Par ailleurs, comme l’Opéra de Paris a la vocation de créer un répertoire, s’est immédiatement posée la question de la reprise future de l’œuvre, y compris dans le cas où la danseuse ne serait plus dans la compagnie (elle a lors de la création du ballet bientôt quarante ans, âge de la retraite à l’Opéra de Paris).
Après discussion, il a été convenu par contrat avec l’Opéra qu’une reprise par l’Opéra avec un(e) autre danseur/euse est possible, mais ne peut s’effectuer qu’avec non seulement l’accord mais aussi le concours de J.Bel.
Le titre de l’oeuvre, éponyme, changera avec le nom du/de la nouvel(le) interprète : ainsi, si l’œuvre est recrée avec une danseuse appelée Marie Durand, elle s’intitulera  Marie Durand et son contenu changera. Mais juridiquement, ce sera toujours la même œuvre, celle du chorégraphe J. Bel.  

Le cas de Véronique Doisneau est une illustration de la complexité de la relation auteur /interprète : mais il introduit également la question du devenir et de l’évolution de l’œuvre chorégraphique à travers ses représentations.

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mardi 31 janvier 2012

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement (II)

La création  d’une œuvre chorégraphique :  le rapport du chorégraphe aux autres auteurs

La création d’une œuvre chorégraphique met en relation le chorégraphe avec plusieurs autres auteurs ou « auxiliaires de création », dont le rôle est défini soit par le droit d’auteur soit par le droit voisin.  Quels sont les cadres juridiques de leurs différents rapports ?

Le ballet, œuvre composite, œuvre de collaboration ?

Pour ce qui est du rapport des auteurs entre eux, le droit épouse dans ses définitions les pratiques en matière chorégraphique : il fournit en effet un cadre tout à fait adapté à ce type d’œuvre. 
L’œuvre chorégraphique peut en effet rarement se concevoir comme se suffisant à elle-même : elle nécessite souvent l’intervention d’une pluralité d’auteurs. Elle utilise en effet traditionnellement une musique, des costumes et des décors, ainsi qu’un support littéraire (le livret ou l’argument). Plus moderne, elle peut éventuellement se passer de musique (« ballet dans le silence ») mais également faire appel à d’autres intervenants (vidéastes etc.…)

  Le terme d’œuvre chorégraphique peut  dans ce cas poser un problème de définition : en effet, l’œuvre chorégraphique au sens juridique se limite à la chorégraphie stricto sensu, mais comme dans un ballet elle est généralement  considérée comme l’œuvre principale, on peut avoir tendance dans la pratique à  appeler « œuvre chorégraphique » l’ensemble du ballet.

Un  ballet au sens large  suppose  donc la réunion de plusieurs auteurs. Il peut être selon les cas une œuvre composite ou une œuvre de collaboration.

Juridiquement, une œuvre de collaboration se définit comme « une oeuvre à la collaboration de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ».


                                                                                                                                                                  
« Le Tricorne », une œuvre de collaboration

« Le Tricorne » est un ballet dont la chorégraphie est de Léonide Massine, le livret de Martinez Sierra, et la musique de Manuel de Falla. Il a été  défini comme œuvre de collaboration à la suite d’un litige qui opposait L. Massine au Théâtre de Nice, qui avait repris le ballet, sans toutefois conserver sa chorégraphie. Il a été  jugé que le ballet,  « né d’une volonté commune animée par une inspiration du chorégraphe, du compositeur et du librettiste », et  « résultant d’une collaboration étroite entre auteurs  » est bien une œuvre de collaboration, dont on ne pouvait tout d’abord envisager l’exploitation sans accord des trois auteurs et dont ensuite une exploitation séparée portait atteinte à l’intégrité de l’œuvre.
                                                                                                                                                                    


On voit qu’à travers l’affaire du « Tricorne », la définition d’une œuvre de collaboration  pu être affinée par la jurisprudence qui retient en fait généralement plusieurs critères cumulatifs pour qu’il y ait oeuvre de collaboration. On doit retrouver l’empreinte de la personnalité de tous les coauteurs dans l’oeuvre. De plus, il faut un concert préalable à l’élaboration préalable de l’œuvre et une inspiration commune  pendant la durée de la création de l’œuvre.
L’œuvre de collaboration n’exclut pas qu’un des auteurs ait un rôle plus important que les autres. Dans un ballet, le chorégraphe est logiquement celui qui a le rôle le plus important.  En conséquence, l’accord de tous les coauteurs est nécessaire pour exploiter l’œuvre, même si on peut exploiter séparément ces contributions, sauf si cette exploitation est interdite par contrat, à condition que les contributions soient exploitables séparément et que l’exploitation séparée ne nuise pas à l’intégrité de l’oeuvre commune.

Un ballet peut être également une œuvre composite, qu’il s’agisse d’une juxtaposition (d’une chorégraphie sur une musique préexistante) ou d’une adaptation (œuvre littéraire, conte, poème ou roman,  adaptée pour le ballet). L’œuvre préexistante peut être ancienne et donc dans le domaine public, ou  relativement récente et toujours protégée par les droits patrimoniaux. Dans les deux cas, il faudra toujours se préoccuper du respect du droit moral, qui est imprescriptible.

Comment rémunérer les auteurs ?

La répartition de la rémunération des auteurs, donc de leurs droits patrimoniaux, se pose de façon différente selon la nature de l’œuvre chorégraphique. 

Dans le cas d’une œuvre de collaboration,  le partage des droits sur l’œuvre, généralement proportionnelle à l’intervention de chaque auteur,  doit être fixé  par contrat. Ces pourcentages de rémunération  sont négociés de gré à gré entre les différents intervenants sur l’oeuvre. Les auteurs doivent parvenir à un accord pour que la que la société de répartition se charge de répartir les droits. Dans le cas par exemple d’une musique originale, composée spécifiquement pour la chorégraphie, la SACD interviendra pour effectuer la répartition.

Dans le cas d’une œuvre composite, il doit y avoir (si l’œuvre préexistante n’est pas dans le domaine public) rémunération de l’auteur. Dans le cas par exemple d’une musique préexistante, c’est la SACEM  qui interviendra pour la perception des droits.

On voit donc que l’œuvre chorégraphique, parce qu’intégrée dans un ballet, fait intervenir plusieurs auteurs : elle ne se suffit pas à elle-même. Mais cette absence d’autosuffisance est également problématique dans la rapport qu’elle introduit, du  point de vue de sa création, entre l’auteur et  l’interprète : en effet, elle n’a de pleine réalisation que dans son interprétation. Dès lors, n’y a-t-il pas le risque d’une confusion des rôles entre l’auteur et l’interprète ?

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vendredi 27 janvier 2012

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement (I)

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement : introduction et plan de l'article

L’œuvre chorégraphique est pleinement intégrée dans le droit de la propriété intellectuelle, dans lequel elle trouve expressément sa place : l’article L112-2 4° du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) énonce ainsi : « Sont considérées comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : […] les œuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en œuvre est fixée par écrit ou autrement. ». 

Pourtant, par les configurations multiples qu’elle prend, par les évolutions qu’elle a connues, l’œuvre chorégraphique constitue à bien des égards une forme atypique qui peut poser des problèmes juridiques spécifiques : en effet, la principale particularité de l’œuvre chorégraphique semble résider dans l’impossibilité pratique et théorique d’envisager séparément  la création de l’oeuvre et  son exécution. Il en résulte un brouillage des frontières entre la chorégraphie et l’interprétation, qui a pour corollaire celui des rôles respectifs du chorégraphe et de l’interprète, celui de la frontière entre  réactualisation et nouvelle création.

Il me parait intéressant de choisir quelques thèmes qui font le lien entre des notions juridiques et des réflexions  propres à la danse, afin de montrer que les problèmes juridiques posés par la danse sont en partie dues à des considérations techniques et artistiques profondément liées à la nature chorégraphique de l’œuvre.

Il me semble également intéressant de mettre le droit en rapport avec un domaine artistique et « sociologique » particulier, pour constater la façon dont il l’encadre, dont il se met en rapport avec lui ; à quel point les notions juridiques recouvrent et recoupent ou non la réalité d’une pratique et d’une histoire. 

J'ai donc choisi quelques situations concrètes ou points de vue qui ont posé, posent  ou seraient à même de poser un problème juridique pratique, à partir desquelles j’ai tenté la cas échéant de mettre en perspective une notion juridique et une notion «chorégraphique », en essayant de comprendre pourquoi il peut y avoir conflit entre les deux ou au contraire, comment le droit accompagne la danse dans ses questions et ses évolutions.


I La création  d’une œuvre chorégraphique

A) Le rapport du chorégraphe avec les  autres auteurs
Le ballet, œuvre composite, œuvre de collaboration
Comment rémunérer les auteurs ?

B) L’auteur et ses interprètes
Fixation et notation du mouvement
Les apports respectifs du chorégraphe et de l’interprète dans la création de l’œuvre

II La représentation de l’œuvre chorégraphique

A) Les droits de représentation et la notion de répertoire
Le « répertoire », une notion propre au monde de la danse
Le répertoire, une notion juridique ?
La transmission d’une œuvre, une pratique éloignée du CPI

B) L’œuvre et son évolution : du contrôle strict à la création renouvelée
La nécessité d’une évolution du patrimoine chorégraphique
Le droit moral, obstacle à l’évolution ?
Les problèmes posés par le copyright

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dimanche 22 janvier 2012

Voyages littéraires et exotisme d'opéra au XIX ème siècle

Fuite devant un présent jugé décevant, le voyage littéraire au XIXè siècle peut tendre vers plusieurs directions.

La recherche de l’exotisme se manifeste tout d'abord à travers le goût pour un Orient plus ou moins proche et rêvé, aux frontières imprécises :  tout ce qui est au sud est à partir de la Grèce peut être qualifié d’ « oriental » , et les exemples abondent , que l’on pense à  l’engagement des Romantiques pour l’indépendance grecque, aux voyages de Delacroix en Algérie, ou à l’attrait exercé par deux pays d’Europe du sud réputés « hauts en couleurs » : l’Italie et l’Espagne .  

Mais l’Allemagne et les pays nordiques sont également considérés, à leur manière, comme des terres à découvrir et à parcourir : la notion de « pittoresque », celui des villages de la Bavière, y prend le pas sur celle d’inconnu et de mystère, attachée aux terres du Sud.

Cette vogue est bien sûr aussi présente en danse : A l’époque de la création de La Sylphide et de Giselle, des ballets comme  Dieu et la bayadère (Taglioni, 1830), La Révolte au sérail (Taglioni, 1833), Le Diable boiteux (Coralli, 1836),  sans oublier bien sûr La Péri (Coralli, 1843) de Gautier lui-même tiennent l’affiche à l’Opéra.

L’Inde et l’Algérie (récemment conquise) s’avèrent des domaines de prédilection. Certains  ont une tonalité plus particulièrement hispanisante : La Gitana (Taglioni, 1836), Paquita, (Mazilier, 1846), La Esméralda (Perrot, 1844). Les danses de caractère que sont la cachucha et la tarentelle, représentées par la ballerine Fanny Elssler, grande rivale de Marie Taglioni, font pendant aux mouvements aériens du ballet blanc.

Plus tard en Russie, dans les même années que Le Lac des cygnes,  Marius Petipa crée: La Fille du Pharaon, (1862), inspiré du Roman de la momie de Gautier, Le Roi Candaule (1868) Zoraiya (1881) Talisman (1889 ) Don Quichotte (1869),  La Bayadère (1877). Parmi ces ballets, Don Quichotte et La Bayadère sont encore au répertoire des principales compagnies classiques. Cette vogue orientale se poursuit jusqu’à Fokine qui donne Schéhérazade et Cléopâtre en 1909 au Théâtre du Châtelet, d’après la nouvelle Une Nuit de Cléopâtre de Gautier : ce dernier exemple permet .de souligner l’interpénétration des deux modes, chorégraphique et littéraire,  qui se concentrent en la personne de Gautier.

Gautier et Nerval sont eux-mêmes de grands voyageurs et relatent leurs excursions dans la presse puis dans des recueils aux titres divers : Nerval part en Orient en 1842-1843, et rentre à temps pour prendre la chronique dans La Presse et permettre à son ami de partir pour l’Espagne. Gautier suit ensuite Carlotta Grisi à Londres en 1842 pour une tournée de Giselle, et revient par la Belgique, puis effectue en 1845-1846 un voyage en Algérie, puis durant l’été 1850 part en Algérie, puis à Istanbul en 1852 (voyage qui le déçoit profondément), puis en Grèce dont l’acropole le transporte, en Russie (en passant par l’Allemagne). 
Mallarmé n’entreprend pas de voyages (si ce n’est en Belgique ou en Angleterre)  mais il est tributaire d’un exotisme influencé par Baudelaire, notamment dans ses premiers poèmes tels que «  Brise marine» :

La chair est triste, hélas!, et j’ai lu tous les livres.
Fuir! Là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux!
 (…)
Je partirai! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature!

En outre,  La fascination de l’Inde de La Bayadère se retrouve chez Mallarmé écrit en 1893 les Contes indiens, certes œuvre de commande, mais qui n’en reflète pas moins un certains « orientalisme » du poète. Il en est de même pour Nerval qui fait preuve, dans ses récits, d’une fascination pour l’Allemagne et l’Orient, perceptible à travers des titres évocateurs tels que  Petits châteaux de Bohème et Histoire de la reine du matin et de Solman.

vendredi 20 janvier 2012

Le "Coup de dés" de Mallarmé : chorégraphie et typographie

Deux versions peuvent restituer le lien évident, frappant, bien que difficile à expliciter, qui existe entre  le Coup de dés et la danse, à tel point qu’un critique a pu affirmer : « Le vrai texte de Mallarmé sur la danse est Un Coup de dés  .
Les deux explications, bien entendu, ne sont pas antithétiques et se complètent.

La première est une explication « classique » .

Le sujet, le « thème » du Coup de dés est le même que celui d’un autre texte de Mallarmé, jamais achevé et élaboré une vingtaine d’années auparavant : Igitur , ou la folie d’Ebenon, qui peut être vu comme la première version, prosaïque, du Coup de dés. En effet, dans Igitur, qui est une fable philosophique,  il est question d’un personnage qui doit abolir le hasard. Sous la forme fictionnelle par excellence, le conte fantastique, Mallarmé pose l’enjeu typographique du Coup de dés : dans la comparaison des deux oeuvres, on observe l’évolution du temps du récit  en espace poétique, dans une  logique qui préfère la simultanéité visuelle à la succession du récit. 
Comme l’écrit Deirdre Priddin, historienne de la danse :   ‘Like Coup de dés, ballet is duration visually disposed –the dream of a visual poet ”. Cette préoccupation de l’espace exprime le souhait d’une maîtrise absolue, non seulement du « contenu » de l’écriture, mais de tout ce qui , habituellement , ne soucie pas l’écrivain : la mise en page, les caractères : « Chance must be eliminated not only from the phrase but from the whole visual entity of the page » , explique la même critique, qui ajoute : « Only the classical dance, with its geometrcal attitudes, its linear construction, its fixed formalized steps which eliminate all chance movement, can answer to this purely intellectual and absolute function ”.

La danse du ballet blanc est avant tout un idéal d’agencement. Dès 1912, Thibaudet avance l’idée d’une lecture du poème comme « ballet », avec une hiérarchie des groupes de mots (capitales, italiques) est calquée sur celle d’un corps de ballet .

Ensuite, une seconde perspective, plus axée sur l’idée d’un moment unique et de la possibilité d’une éclosion, met l’accent sur l’arbitraire apparent et la dimension symbolique.  Mallarmé établit dans un texte des Divagations la parenté entre l’écriture chorégraphique et la typographie, perçue comme une écriture stellaire : il souligne que la seconde, noire sur blanche, est l’inverse de la première, blanche sur fond sombre : « Tu remarqueras, on n’écrit pas, lumineusement, sur champ obscur, l’alphabet des astres, seul ainsi l’indique, ébauché ou interrompu ; l’homme poursuit noir sur blanc  ».
L’astronomie fait donc le lien entre la danse et l’écriture conçue comme art de disposition de caractères sur une page et non comme faculté de coucher des phrases et des mots sur du papier.  Le Coup de dés peut être lu comme une tentative de mettre cette concordance en application .Comme l’écrit le critique Guy Ducrey,  « disposer l’écriture comme le corps de ballet sur scène, ménager dans la page, par des blancheurs savamment calculées, le silence chorégraphique, élever le livre lui-même à la hauteur des espaces sidéraux et muets, dont la danse n’est jamais que la figure terrestre  ».

« Rien n’aura lieu que le lieu, excepté peut-être une constellation  » : cette prédiction  qui se révèle peu à peu à la lecture du Coup de dés évoque fortement la danse et l’article « Ballets » de Mallarmé.

Rien de proprement narré n’advient dans la danse "pure",  il ne faut donc pas y chercher autre chose que ce que l’on a sous les yeux dans l’instant. Mais tout peut y advenir, «  une constellation » qui peut tout à coup devenir signifiante dans l’arbitraire apparent du signe.

Le Coup de dés pratique la syntaxe et la grammaire d’une manière chorégraphique : il s’agit d’assembler des signes en entités significatives et indépendantes, et de construire différentes unités, qui se meuvent, partiellement indépendantes. Ces unités sont autant des réseaux de sens que des figures, et peuvent être lues, ou plutôt regardées de deux manières, un peu comme les jeux d’optique : en regardant le blanc de l’espace ou le texte imprimé.

La constellation est donc le résultat  du déploiement de ces unités sur l’espace de la scène, moment fugace, qui ne se reproduit pas. Ainsi en est-il du jet des dés, toujours différent et recommencé. Le terme « Ballet » selon l’enquête étymologique et lexicologique d’un critique  , serait issu en effet du grec, « ballein », qui signifie « jeter, lancer ».


mercredi 18 janvier 2012

"Danser sa vie", l'expo du Centre Georges Pompidou

Le Centre Pompidou, Musée National d' Art Moderne, consacre jusqu'au 2 avril 2012 une exposition qui met en lumière les liens entre la danse et certains des principaux mouvements artistiques du XXème siècle - expressionnisme, cubisme, futurisme, surréalisme...c'est passionnant.



Non, la danse n'est pas un ghetto ! Elle se développe en interaction permanente avec les autres arts, avec les mouvements culturels d'une époque. C'est une chose de l'affirmer, c'est encore mieux de le montrer.

L'ambitieuse exposition du Centre Pompidou ravira les amateurs de danse comme les férus d'art moderne. Aficionados exclusifs de chaussons et de grands jetés s'abstenir cependant : l'exposition commence avec Nijinsky et les Ballets russes et s'attache avant tout à la danse dite "contemporaine", bien qu'on se rende vite compte du caractère bien "fourre-tout" de cette appellation.

L'exposition nous fait en effet parcourir un siècle de danse, d'Isadora Duncan à Jérôme Bel. Elle montre les continuités et les ruptures entre des mouvements qui en se rencontrant ou en se heurtant, entrent en résonance féconde avec les arts du XXè siècle.

Le travail des deux commissaires, Christine Marcel et Emma Lavigne, concerne avant tout les liens qu'entretiennent la danse et les arts visuels et ne retrace bien entendu pas une histoire exhaustive de la danse contemporaine. Il s'agit plutôt d'une exploration , à travers un choix d’œuvres plastiques et chorégraphiques, du rôle que peut jouer ou qu'a pu jouer la danse dans certaines des révolutions artistiques majeures du XXème siècle. 

Par exemple, l’expressionnisme n'a-t-il pas été introduit par une forme d'expression de soi, inventée par Isadora Duncan et poursuivie par des chorégraphes telles que Mary Wigman ou Pina Bausch ? Les recherches des futuristes sur la couleur et le mouvement ne peuvent-elles pas être mises en rapport avec les fameux voiles colorés de Loïe Füller ? Quels liens entretiennent danse et performance dans les travaux d'Yves Klein ou de Jackson Pollock ?

L'exposition effleure également la question de la danse engagée et politique, de la "récupération" du mouvement expressionniste à l'époque de l'Allemagne nazie au regard qu'apportent de plus en plus souvent les chorégraphes contemporains sur la société d'aujourd'hui. Enfin,elle aborde le thème de l'expression populaire - danse de cabaret, de music-hall, bals, et plus récemment disco et "tubes" de l'été - qui, remarquable permanence, est une source d'inspiration des artistes et des chorégraphes tout au long du parcours, brouillant les frontières entre culture savante et culture populaire.

A ces questions, le parcours proposé n'apporte pas de réponse toute faite, mais, à l'opposé de tout didactisme, il permet au spectateur de faire bouger ses catégories préconçues. S'il montre une chose, c'est bien l'absence d'étanchéité entre les arts et des mouvements présentés.

Il est rare qu'une exposition d'une telle ampleur soit montée dans un lieu qui ne soit pas totalement dédié à la danse. C'est, au choix, une histoire culturelle de la danse ou une histoire "dansée" de la culture au XXème siècle.

Alors qu'on  peut regretter parfois de voir le monde du spectacle vivant tourner en vase clos, avec des "grands noms" qui ne sortent guère d'un cercle d'initiés, cette exposition permet de construire des passerelles, en intégrant la danse dans la réflexion sur l'histoire et la théorie de l'art. C'est pourquoi elle est si importante.


"Danser sa vie", exposition au Centre Pompidou, du 23 novembre 2011 au 2 avril 2012. 11h-21h. Le jeudi jusqu'à 23 h.



















lundi 16 janvier 2012

Les sources du Lac des Cygnes


L'argument du Le Lac des cygnes est le fruit d’une longue élaboration issue d'un faisceau de traditions populaires. L’histoire n’est guère fixée et c’est probablement le ballet qui subit le plus de changements au gré des diverses versions : fin heureuse ou malheureuse, identité du méchant Rothbart, présence ou non de l’ami du prince, Benno… Une lecture  rapide de l’argument proposé  permet de voir qu’il n’y a pas de forme définitive au conte, bâti sur une trame modulable, mais dont la cohérence reste rigoureuse.

 En effet,  contrairement à d'autres ballets, il n’existe pas d’oeuvre dont Le Lac des cygnes  serait adapté, ni de livret écrit par une personnalité littéraire. Le livret, qui pourtant existe, prête à controverse et a fait l’objet de plusieurs versions. Élaboré par le dramaturge moscovite Vladimir Beguetchev et le danseur Vassili  Guelster, probablement à la demande de Tchaïkovski, l’argument de 1877 tel qu’il a été publié  ne comportait pas de nom d’auteur et a fait depuis l’objet de nombreux remaniements et adaptions .

On considère que c’est Tchaïkovski lui-même qui est à l’origine de l’argument du ballet, que l’on rapproche souvent de sa vie personnelle et notamment de son homosexualité refoulée. Comme le note le critique Marcel Schneider : « Rien ne convenait mieux à sa sensibilité et aux chimères de son esprit qu’une histoire légendaire et fantastique : il pouvait y exprimer tous ses tourments sans être infidèle à lui-même et sans choquer le public de son temps.  » Selon ce critique, le compositeur aurait emprunté l’intrigue et les thèmes principaux à son propre opéra, Ondine, qui venait d’être refusé par le Bolchoï , lui-même adapté d’un conte romantique de Lamothe-Fouqué .  Marcel Schneider mentionne ce même conte, qui a été traduit en français dès 1817, comme source d’inspiration probable de La Sylphide . Ainsi, ces deux œuvres, dont les genèses sont pourtant très distinctes et éloignées géographiquement dans le temps, ont la même lointaine origine.

Cependant, s’il n’y a pas à proprement parler de source littéraire « canonique» au Lac, on peut convenir avec Marcel Schneider que «  l’histoire du Lac des Cygnes telle que nous la raconte la ballet n’est pas née en un jour. Elle rassemble tout un faisceau de contes et de légendes, (…) [auxquels] la personnalité de Tchaïkovski a donné une unité qui ne la rend pas moins complexe.  ». Un autre historien de la danse écrit à ce sujet :

« Il a fallu presque vingt ans et trois versions chorégraphiques pour que l’histoire – du moins sa trame- soit définitivement fixée. Entre-temps, le compositeur a largement modifié la partition, au point que, pour ce ballet plus que d’autres, la notion de « version originale » relève largement de l’utopie .  »

dimanche 15 janvier 2012

Carlotta Grisi, inspiratrice de Théophile Gautier

A l’origine de Giselle se trouve  l’amour de Gautier pour une danseuse d’origine italienne, Carlotta Grisi, qui est engagée en 1840 à l’Opéra de Paris. C’est dans le but d’offrir à Carlotta un ballet que Gautier écrit l'argument de Giselle. Ce ballet marque le début d’une longue relation d’amour et d’amitié, un amour non-réalisé, pour plusieurs raisons qu’il est sans doute un peu éloigné du sujet de développer, de sorte que Carlotta n’épousera pas Gautier.

Vingt quatre ans plus tard, alors que la danseuse a depuis longtemps quitté la scène, Gautier écrit Spirite, histoire mystique d’un amour impossible qui se réalise dans l’au-delà céleste. Cette œuvre tardive a pu être décrite par Jean Richer comme : « une somme de ses rêveries, la synthèse de ce qu’il avait toujours cherché, le terme de son œuvre de fiction, et encore l’œuvre la plus autobiographique qu’il ait écrite ».

Ainsi, les deux œuvres sont un hommage à Carlotta Grisi, dans le thème, l’écriture et la composition. Celle de Spirite est en effet une structure de ballet blanc. Comme l’écrit Jean Richer, qui creuse le parallèle entre les deux œuvres :

«  Ces créatures dansent un mystique quadrille dont les figures ont été dessinées par un maître chorégraphe. En effet, on s’aperçoit vite que Spirite évoque un sujet de ballet, celui que Gautier avait traité déjà en 1841 dans Giselle ou les wilis et deux en plus tard dans La Péri. La nouvelle se développe en trois mouvements : la partie centrale de la « Dictée de Spirite » qui couvre les chapitres VII à XII correspond au premier acte de Giselle et de La Péri , c’est aussi la moins réussie au point de vue artistique. Les six chapitres du début et les quatre chapitres terminaux reprennent et amplifient l’idée du deuxième acte des ballets  »

Spirite, dans sa structure, met en forme, comme pour le ballet, l’idée d’une opposition entre le rêve et la réalité. On retrouve donc en littérature un procédé essentiellement chorégraphique. Tout laisse penser que Gautier, qui a expérimenté la forme d’écriture du livret de ballet romantique, s’inspirant en cela de La Sylphide, réutilise le procédé pour l’écriture d’une nouvelle.

samedi 14 janvier 2012

La Sylphide, ou le romantisme appliqué à la danse


La réussite de La Sylphide (1832) , authentifié comme premier « ballet blanc », a été en quelque sorte préparée, un an auparavant, par le « ballet des nonnes » de l’opéra Robert Le Diable de Meyerbeer. Sa genèse est presque anecdotique .A l’époque, le troisième acte d’une œuvre lyrique, comme le préconise le cahier des charges de l’Opéra de Paris, doit obligatoirement comprendre un passage dansé, afin d’attirer  les amateurs de ballet. Le ballet n’est pas du tout reconnu comme un art à part entière, mais fait figure de divertissement dans une œuvre lyrique, il s’agit pour des abonnés fortunés d’admirer de jeunes filles, avant de les rencontrer au Foyer de la Danse.

Le troisième acte de Robert le diable, qui répond à cet impératif conventionnel, transcende sa vocation première : les créateurs du ballet ont choisi de mettre en scène, dans un décor de cloître en ruine, des religieuses qui sortent de leur tombe pour charmer le héros.  Filippo Taglioni a mis au point la chorégraphie, et sa fille Marie, qui a dansé pour la première fois à Paris en 1927, suscitant l’engouement de part et d’autre, danse l’Abbesse du couvent. On le voit, la tonalité gothique de l’ensemble est très en phase avec le romantisme de l’époque.

Or, le passage de l’opéra est pour, les spectateurs  une véritable « vision ». La dénomination  est importante, car, elle contient dans sa définition deux aspects majeurs de l’acte blanc : à la fois passage onirique et fantasmatique, elle a la profondeur de ce qui est « donné à voir », d’une manière quasiment plastique, et non plus seulement à admirer. Le « ballet des nonnes  » de Robert le diable fascine les spectateurs : les nones y sont enveloppés de voiles blancs, dans un éclairage au gaz  (une nouveauté à l’Opéra) qui crée des projections d’ombres inédites. Ceux-ci, envoûtés, ont l’impression de voir des fantômes : le ballet blanc est né, même s’il l’on voit qu’il n’est destiné, dès le commencement, à n’être qu’un « acte », c’est-à-dire un passage, un moment d’une œuvre plus conséquente.

L’année suivante, le Dr Véron, directeur de l’Opéra, commande à Filippo Taglioni un grand ballet en deux actes, qui sera La Sylphide.

 L’argument, très lointainement inspiré de Trilby ou le lutin d’Argail, de Charles Nodier, l’ancre dans le registre fantastique. Dans ce conte situé en Ecosse (issu du « cycle écossais » de l’auteur), un feu follet, Trilby, est amoureux d’une batelière, Jeannie. L’auteur de l’argument, qui n’est autre que le ténor-vedette de Robert le diable, Adolphe Nourrit, ne garde que l’idée d’un amour impossible entre un esprit surnaturel et un être humain. Il inverse les rôles masculin et féminin, de sorte que le lutin devient une sylphide. Il ne s’agit donc pas d’adaptation d’une œuvre, ni d’une caution littéraire quelconque : mais bien de trouver dans une certaine littérature d’inspiration romantique et folklorique une idée susceptible d’être facilement portée à la scène. 
La Sylphide peut être considéré comme le premier ballet « romantique », dont Giselle constitue l’apothéose. C’est une révolution thématique dans le domaine de la danse, qui n’a pas échappé à Gautier, lorsqu’il écrit :

«  Ce ballet commença pour la chorégraphie une ère nouvelle, et ce fut par lui que le romantisme s’introduisit dans le domaine de Terpsichore. A dater de La Sylphide, les filets de Vulcain, Flore et Zéphyre ne furent plus possibles ; l’opéra fut livré aux gnomes, aux ondins, aux salamandres, aux elfes, aux nixes, aux wilis, aux péris et à tout ce peuple étrange et mystérieux qui se prête si merveilleusement aux fantaisies du maître de ballet. Les douze maisons de marbre et d’or des Olympies furent reléguées dans la poussière des magasins, et l’on ne recommanda plus aux décorateurs que les forêts romantiques, que les vallées éclairées par ce joli clair de lune allemand des ballades de Henri Heine . »

Ce tournant s’accompagne d’innovations techniques et chorégraphiques, dont la plus durablement marquante est l’utilisation des pointes, ainsi que dans le costume. La fascination exercée par La Sylphide et par son interprète, Marie Taglioni, ne peut s’expliquer sans l’invention du chausson de satin, qui permet la montée sur pointes. Certes, Marie Taglioni n’est pas la première à l’utiliser. Certaines ballerines, comme Maria Danislova et Advotia Istomina   à Saint-Pétersbourg, l’ont apprise. Mais Marie Taglioni est la première à l’utiliser de façon véritablement expressive, pour un rôle qui convient parfaitement à ce type de technique, en l’associant à un port de bras souple qui lui confère une grâce éthérée.

La Sylphide correspond également à l’invention, par Eugène Lami, costumier de l’opéra, du « tutu », longue jupe blanche, adaptée des robes de bal de l’époque. Gautier peut donc ajouter :

« On changea le coturne grec contre le chausson de satin. Ce nouveau genre amena un grand abus de gaze blanche, de tulle et de tarlatane ; les ombres se vaporisèrent au moyen de jupes transparentes. » 

Ces innovations dans le costume sont donc une des clés de l’émergence du ballet romantique, au point de donner son nom au type de ballet nouveau qui voit le jour : « Le blanc fut presque la seule couleur adoptée  »,  conclut sobrement  Gautier.
Ainsi, dans l’histoire de la danse,  La Sylphide crée un modèle qu’imiteront bien des ballets du XIX ème siècle : La fille du Danube, Ondine, La Bayadère,  Giselle et les deux actes blancs du Lac des cygnes .

Le "ballet blanc" est né.

vendredi 13 janvier 2012

Ballets blancs et actes blancs romantiques et classiques : essai de définition

Le terme d'"acte blanc "est employé par les historiens de la danse et les chorégraphes pour désigner des passages précis des ballets romantiques et classiques. Mais, paradoxalement, alors que la notion paraît pointue, elle désigne ce qu’il y a de plus universellement connu dans la danse, si bien qu’il se confond avec l’image d’Épinal de la danse et de la danseuse. Il suffit ainsi d’évoquer les actes blancs du célèbre Lac des cygnes, pour mettre une image sur une expression un peu abstraite.

La première caractéristique que l’on peut en effet donner de l’acte blanc est élémentaire : « l’acte blanc », ou les « actes blancs »,  désignent les parties du ballet ou les protagonistes présents sur scène sont habillés de blanc. Pour préciser, on peut ajouter que ces protagonistes sont généralement deux solistes et un nombre assez important de danseuses du « corps de ballet » qui composent le chœur.   

En deuxième lieu, il faut insister sur le fait que l’acte blanc est intégré dans la trame d’un ballet narratif, il n’est qu’un passage d’une œuvre. Il est même souvent en opposition avec les autres actes que l’on peut qualifier de « colorés » .
Voilà donc les deux traits essentiels, évidents, de l’acte blanc.

En vérité, les choses sont un tout petit peu plus complexes : comme l’acte blanc donne souvent son véritable cachet au ballet, on a souvent étendu l’expression à l’ensemble de l’œuvre, qualifiée de « ballet blanc », formule qui désigne, de manière un peu schématique sans doute, le ballet romantique.
On peut  émettre trois objections à cette dénomination :
-l’ère romantique en danse n’a pas produit que des ballets blancs. L’expression fait donc passer à côté d’une réalité riche et diverse.
- comme le souligne Serge Lifar ,  elle ne rend pas compte de la structure binaire de l’œuvre, pourtant fondamentale.
- la couleur elle-même est contestée. Ainsi, on peut lire dans un dictionnaire de la danse :

“Ballet blanc: This term is applied to any ballet performed in the traditionnal long white skirt said to have been invented by Lami for Taglioni in « La Sylphide » (... ) and is generally synonimous with the idea of ballet held by the personn who has little experience of ballet. (It is held by some authorities that Lami ’s skirt was in fact blue in colour) ”.

Reprécisons en effet que le ballet ou acte blanc s’apparente, historiquement à l’époque précise du ballet romantique. La définition ci-dessus fait procéder essentiellement  le terme du  costume. C’est un élément indéniable, mais on peut ajouter que le ballet romantique se distingue par un vocabulaire chorégraphique et des postures, des attitudes  repérables et reconnaissables.

 L’acte blanc, dans les ballets romantiques et classiques, a sa tonalité propre que l’on peut qualifier de lyrique, voire élégiaque, évanescente, onirique.Ce dernier fait est à mettre en relation avec la place et le statut particuliers qu’il occupe dans l’œuvre : il est conçu pour nous faire douter de sa réalité, à l’intérieur d’une œuvre .
Enfin,  par sa structure, l’acte blanc est le lieu d’un travail chorégraphique spécifique sur l’uniformité du groupe, et se différencie de cette manière des ballets ou actes colorés, plus propres à mettre en valeur des variations de solistes divers ou des danses de caractère, folkloriques ou nationales. L’acte blanc renoue avec la poétique antique du chœur tragique, et présente en même temps de la danse une vision quasiment plastique.
Ainsi, dans l'histoire plus récente de la danse classique, des "actes blanc"s ont pu être présentés des œuvres à part entière : certains chorégraphes postérieurs au romantisme  les ont détachés de leur contexte narratif pour en faire des ballet courts : il s’agit dans ce cas d’un « acte blanc » devenu « ballet blanc »… L’exemple le plus célèbre en est sans doute Les Sylphides de Fokine, hommage à La Sylphide, le premier ballet romantique de 1832. On peut également citer Suite en blanc, ballet académique de Serge Lifar, monté en  1943.  Sérénade de Balanchine et son atmosphère bleutée  constitue également un très bel hommage au « ballet blanc ».


L’"acte blanc" apparaît donc comme une notion regroupant une série de critères nécessaires, mais non suffisants un à un.  Cette diversité de critères à associer permet d’envisager une définition à plusieurs degrés, du plus strict au plus ouvert.
La définition la plus contextuelle et la plus retreinte ne s’appliquerait ainsi qu’aux ballets blancs de l’époque romantique française : La Sylphide et Giselle.
En deuxième lieu, on constate que certains ballets de l’époque classique russe suivent la même construction. Parmi eux, Le Lac des cygnes et La Bayadère sont les plus évidents. Mais les scènes de vision ou de songe, présentes dans la plupart des ballets de cette époque (Don Quichotte, La Belle au bois dormant, Casse-noisette), s’apparentent également à des actes blancs.
Ensuite viennent les hommages au romantisme par des chorégraphes néo-classiques évoqués. Il manque alors  la dimension temporelle, celle d’ « acte »blanc.
Enfin, on trouve dans quantité d’œuvres chorégraphiques, classiques et contemporaines, ce qui semble être, de façon plus ou moins visible ou revendiquée, une permanence ou des résurgences de l’acte blanc.

Au terme de « ballet blanc », daté et contextuel, prélevé du champ de l’historiographie de la danse,  on peut dès lors  préférer celui d’ "acte blanc", et partir ainsi du terme technique pour l'étendre à un concept, plus large et plus souple,qui permet d'appréhender diverses réalités chorégraphiques et culturelles.

lundi 9 janvier 2012

Le Cygne

Le Cygne

de Stéphane Mallarmé 


Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui!

Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.

Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie,
Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris.

Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne.


vendredi 6 janvier 2012

Air France et la danse

Ce n'est pas un scoop : depuis quelques années, la danse est à la mode. Les ballerines Repetto battent le pavé, les ballets du Bolchoï sont retransmis en direct dans les cinémas UGC, on voit des silhouettes de ballerines se multiplier...pas seulement dans la rue, mais sur le papier, les écrans, tous les supports.

Argument de "La Sylphide"

Alphonse Nourrit, 1830

Acte I

Dans une chaumière d'Ecosse, James, assoupi dans un fauteuil, près de la cheminée, attend l'aube du jour qui verra ses noces avec Effie.
Se tient près de lui un esprit ailé, une Sylphide, qui le contemple amoureusement et l'éveille d'un baiser. James tente de saisir la vision, mais la Sylphide s'envole.

Arrivent Effie, sa mère et les voisins pour les préparatifs du mariage. Ainsi que Gurn amoureux -sans espoir- d'Effie.

Une vieille femme, peut-être une sorcière, vient dire la bonne aventure. James la repousse, mais Effie lui tend la main : ainsi la jeune fille attend apprend avec tristesse que son fiancé ne l'aime pas vraiment, trop absorbé par son rêve de belle inaccessible, et que finalement elle épousera son soupirant Gurn. James, furieux, chasse la sorcière. 
Celle-ci jure de se venger.

Resté un moment seul, James revoit la Sylphide apparaître : elle le charme et le jeune homme lui avoue son amour. Gurn, caché, ayant assisté à la scène, court prévenir Effie de la trahison de James. Mais la Sylphide reste invisible aux invités de la noce, seul James la voit : aussi, le voilà, au milieu de la fête, comme écartelé entre Effie bien réelle et le fantôme de la Sylphide. Celle-ci réussit à arracher de la main de James l'anneau destiné à sa fiancée, et s'enfuit vers la forêt.

James la poursuit, laissant Effie en pleurs.

Acte II

La sorcière -présente dans la chaumière tout à l'heure- est là maintenant avec ses consoeurs, dansant au clair de lune, dans la forêt.
La vieille s'affaire autour d'un chaudron dont elle tire une écharpe vaporeuse.
Dans la clairière, des êtes étranges volent d'arbre en arbre.
Paraît James, comme un fou, cherchant sa Sylphide.
La sorcière, sournoisement, vient lui offrir l'écharpe : c'est un voile magique qui lui permettra de de retenir cet être insaisissable.
James a retrouvé, parmi les créatures voletantes, l'objet de son désir.
La Sylphide fait au jeune homme les honneurs de son domaine sylvestre où elle prend soin des nids d'oiseaux, et l'invite à se joindre aux danses de ses comparses ailées.
Attirant près de lui la belle fugitive, il réussit à passer l'écharpe autour de ses épaules : ainsi ne pourra-t-elle plus lui échapper !
Mais au contact du voile, les ailes de la Sylphide s'étiolent et tombent, et c'est pour si la vie se retirait peu à peu de ce corps surnaturel.
La Sylphide s'évanouit dans le bras du jeune homme. James réalise trop tard - et c'est là la vengeance de la sorcière- qu'il vient de tuer celle qu'il aimait.

Et tandis qu'Effie et Gurn, accompagnés des invités de la noce, passent au loin cherchant en vain le fiancé parjure, James, désespéré, voit les sylphides recueillir leur compagne défunte et l'emmener dans les airs.

















jeudi 5 janvier 2012

Romantisme littéraire et ballet romantique



Comparer le romantisme littéraire et le romantisme en danse conduit nécessairement au problème de la non coïncidence des styles.
Ainsi, le romantisme désigne avant tout, en danse, une notion restreinte qui désigne un style chorégraphique précis, indissociable du « ballet blanc » et de sa figure incontestée : la ballerine romantique, qui est l’image que nous avons peut-être le plus communément de la danseuse. Il est étroitement lié à deux inventions majeures : l’utilisation chorégraphique des pointes et le port du tutu. Il va donc sans dire que dans l’histoire de la danse, le romantisme, loin d’être anecdotique, est une révolution. Comme l’écrit Balanchine : « In western Europe of the 1830s, the supremacy of italian dance technique combined with the Romanticism that dominated the other arts of the time to produce a new kind of ballet[2] »  Les historiens de la danse s’accordent sur la dénomination de ballet romantique en ce qui concerne La Sylphide et Giselle. Pour Le Lac, ils préfèrent parfois les notions de classicisme ou d’académisme, cela dans le but de noter la nette différence de style chorégraphique qui peut exister entre l’école dite « française » des années 1830-1840 et l’école russe de la fin du siècle, marquée par la personnalité de Marius Petipa. Néanmoins, Le Lac est sans conteste un ballet romantique, si toutefois on ne l’envisage pas dans son sens le plus restreint, qui, temporellement, se resserrerait autour de 1830 : le romantisme en danse est aussi  culturel. Et cette culture provient de sources littéraires. Comme l’écrit l’historien de la danse Ivor Guest :  « In its origins Romnaticism was a literary movement, and every art-form it touched was to be strongly influenced, in one way or another, by literary sources[3] »
 En effet,  Le « ballet blanc », comme on nomme parfois de façon un peu approximative le ballet romantique, exprime des préoccupations clés de l’époque. On y retrouve la thématique fantastique et poétique du romantisme de Gautier et Nerval,  bien sûr, mais aussi de Chateaubriand, Hugo, Baudelaire ainsi que quantité d’autres prosateurs mineurs du registre fantastique. Mais surtout, d’un point formel, il illustre l’idée de rupture, fondamentale à notre sens, dans l’esthétique romantique. C’est en ce sens élargi que je souhaite employer le terme de « romantisme », comme dominant, sous diverses formes, tout le dix-neuvième siècle, au sens où l’entend par exemple Bénichou lorsqu’il définit la « foi romantique » comme «  l’ambition de relier le terrestre à l’humain et à l’idéal[4] ».Comment les motifs romantiques du XIX ème siècle sont-ils « entrés dans la danse », avec quelles implications ? En quoi la danse a-t-elle été une forme privilégiée pour les exprimer ? 
 
Des trois œuvres, une seule, Giselle,  a l’incontestable « caution » littéraire de Gautier, qui y a collaboré en tant que librettiste, et bien plus peut-être, en tant qu’inspirateur. Mais les trois font intervenir un réseau d’images et d’idées  largement formé par le climat littéraire véhiculé par le romantisme du siècle, en particulier le romantisme allemand.
 Les ballets sont généralement le fruit de d’une collaboration entre plusieurs talents, dans des domaines différents. C’est en ce sens que l’on peut dire , et ce de façon très générale, que le ballet, plus que tout autre art,  synthétise une pensée où un courant, ce qui fait de La Sylphide ou de Giselle des événements marquants dans l’esthétique romantique envisagée d’un point de vue culturel. Aisni, Ivor Guest peut écrire que La Sylphide fut  « as momentous a landmark in the chronicles of the Romantic art as “The Raft of the Medusa” and “Hernani”[5].”


[2] George Balanchine , New Complete stories of the great ballets, Doubleday & company, New York,,p 480
[3] Guest, Ivor, The Romantic ballet in Paris, Dance books, Ltd, , [1966], 1980 p 3
[4] Bénichou, Paul, L’Ecole du désenchantement, Nrf Gallimard, 1992, p 7
[5] Guest, Ivor, op. cit. , p 5