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mardi 31 janvier 2012

Chorégraphie et droit d'auteur : questions soulevées par un art en mouvement (II)

La création  d’une œuvre chorégraphique :  le rapport du chorégraphe aux autres auteurs

La création d’une œuvre chorégraphique met en relation le chorégraphe avec plusieurs autres auteurs ou « auxiliaires de création », dont le rôle est défini soit par le droit d’auteur soit par le droit voisin.  Quels sont les cadres juridiques de leurs différents rapports ?

Le ballet, œuvre composite, œuvre de collaboration ?

Pour ce qui est du rapport des auteurs entre eux, le droit épouse dans ses définitions les pratiques en matière chorégraphique : il fournit en effet un cadre tout à fait adapté à ce type d’œuvre. 
L’œuvre chorégraphique peut en effet rarement se concevoir comme se suffisant à elle-même : elle nécessite souvent l’intervention d’une pluralité d’auteurs. Elle utilise en effet traditionnellement une musique, des costumes et des décors, ainsi qu’un support littéraire (le livret ou l’argument). Plus moderne, elle peut éventuellement se passer de musique (« ballet dans le silence ») mais également faire appel à d’autres intervenants (vidéastes etc.…)

  Le terme d’œuvre chorégraphique peut  dans ce cas poser un problème de définition : en effet, l’œuvre chorégraphique au sens juridique se limite à la chorégraphie stricto sensu, mais comme dans un ballet elle est généralement  considérée comme l’œuvre principale, on peut avoir tendance dans la pratique à  appeler « œuvre chorégraphique » l’ensemble du ballet.

Un  ballet au sens large  suppose  donc la réunion de plusieurs auteurs. Il peut être selon les cas une œuvre composite ou une œuvre de collaboration.

Juridiquement, une œuvre de collaboration se définit comme « une oeuvre à la collaboration de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ».


                                                                                                                                                                  
« Le Tricorne », une œuvre de collaboration

« Le Tricorne » est un ballet dont la chorégraphie est de Léonide Massine, le livret de Martinez Sierra, et la musique de Manuel de Falla. Il a été  défini comme œuvre de collaboration à la suite d’un litige qui opposait L. Massine au Théâtre de Nice, qui avait repris le ballet, sans toutefois conserver sa chorégraphie. Il a été  jugé que le ballet,  « né d’une volonté commune animée par une inspiration du chorégraphe, du compositeur et du librettiste », et  « résultant d’une collaboration étroite entre auteurs  » est bien une œuvre de collaboration, dont on ne pouvait tout d’abord envisager l’exploitation sans accord des trois auteurs et dont ensuite une exploitation séparée portait atteinte à l’intégrité de l’œuvre.
                                                                                                                                                                    


On voit qu’à travers l’affaire du « Tricorne », la définition d’une œuvre de collaboration  pu être affinée par la jurisprudence qui retient en fait généralement plusieurs critères cumulatifs pour qu’il y ait oeuvre de collaboration. On doit retrouver l’empreinte de la personnalité de tous les coauteurs dans l’oeuvre. De plus, il faut un concert préalable à l’élaboration préalable de l’œuvre et une inspiration commune  pendant la durée de la création de l’œuvre.
L’œuvre de collaboration n’exclut pas qu’un des auteurs ait un rôle plus important que les autres. Dans un ballet, le chorégraphe est logiquement celui qui a le rôle le plus important.  En conséquence, l’accord de tous les coauteurs est nécessaire pour exploiter l’œuvre, même si on peut exploiter séparément ces contributions, sauf si cette exploitation est interdite par contrat, à condition que les contributions soient exploitables séparément et que l’exploitation séparée ne nuise pas à l’intégrité de l’oeuvre commune.

Un ballet peut être également une œuvre composite, qu’il s’agisse d’une juxtaposition (d’une chorégraphie sur une musique préexistante) ou d’une adaptation (œuvre littéraire, conte, poème ou roman,  adaptée pour le ballet). L’œuvre préexistante peut être ancienne et donc dans le domaine public, ou  relativement récente et toujours protégée par les droits patrimoniaux. Dans les deux cas, il faudra toujours se préoccuper du respect du droit moral, qui est imprescriptible.

Comment rémunérer les auteurs ?

La répartition de la rémunération des auteurs, donc de leurs droits patrimoniaux, se pose de façon différente selon la nature de l’œuvre chorégraphique. 

Dans le cas d’une œuvre de collaboration,  le partage des droits sur l’œuvre, généralement proportionnelle à l’intervention de chaque auteur,  doit être fixé  par contrat. Ces pourcentages de rémunération  sont négociés de gré à gré entre les différents intervenants sur l’oeuvre. Les auteurs doivent parvenir à un accord pour que la que la société de répartition se charge de répartir les droits. Dans le cas par exemple d’une musique originale, composée spécifiquement pour la chorégraphie, la SACD interviendra pour effectuer la répartition.

Dans le cas d’une œuvre composite, il doit y avoir (si l’œuvre préexistante n’est pas dans le domaine public) rémunération de l’auteur. Dans le cas par exemple d’une musique préexistante, c’est la SACEM  qui interviendra pour la perception des droits.

On voit donc que l’œuvre chorégraphique, parce qu’intégrée dans un ballet, fait intervenir plusieurs auteurs : elle ne se suffit pas à elle-même. Mais cette absence d’autosuffisance est également problématique dans la rapport qu’elle introduit, du  point de vue de sa création, entre l’auteur et  l’interprète : en effet, elle n’a de pleine réalisation que dans son interprétation. Dès lors, n’y a-t-il pas le risque d’une confusion des rôles entre l’auteur et l’interprète ?

La suite ici !

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