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samedi 14 janvier 2012

La Sylphide, ou le romantisme appliqué à la danse


La réussite de La Sylphide (1832) , authentifié comme premier « ballet blanc », a été en quelque sorte préparée, un an auparavant, par le « ballet des nonnes » de l’opéra Robert Le Diable de Meyerbeer. Sa genèse est presque anecdotique .A l’époque, le troisième acte d’une œuvre lyrique, comme le préconise le cahier des charges de l’Opéra de Paris, doit obligatoirement comprendre un passage dansé, afin d’attirer  les amateurs de ballet. Le ballet n’est pas du tout reconnu comme un art à part entière, mais fait figure de divertissement dans une œuvre lyrique, il s’agit pour des abonnés fortunés d’admirer de jeunes filles, avant de les rencontrer au Foyer de la Danse.

Le troisième acte de Robert le diable, qui répond à cet impératif conventionnel, transcende sa vocation première : les créateurs du ballet ont choisi de mettre en scène, dans un décor de cloître en ruine, des religieuses qui sortent de leur tombe pour charmer le héros.  Filippo Taglioni a mis au point la chorégraphie, et sa fille Marie, qui a dansé pour la première fois à Paris en 1927, suscitant l’engouement de part et d’autre, danse l’Abbesse du couvent. On le voit, la tonalité gothique de l’ensemble est très en phase avec le romantisme de l’époque.

Or, le passage de l’opéra est pour, les spectateurs  une véritable « vision ». La dénomination  est importante, car, elle contient dans sa définition deux aspects majeurs de l’acte blanc : à la fois passage onirique et fantasmatique, elle a la profondeur de ce qui est « donné à voir », d’une manière quasiment plastique, et non plus seulement à admirer. Le « ballet des nonnes  » de Robert le diable fascine les spectateurs : les nones y sont enveloppés de voiles blancs, dans un éclairage au gaz  (une nouveauté à l’Opéra) qui crée des projections d’ombres inédites. Ceux-ci, envoûtés, ont l’impression de voir des fantômes : le ballet blanc est né, même s’il l’on voit qu’il n’est destiné, dès le commencement, à n’être qu’un « acte », c’est-à-dire un passage, un moment d’une œuvre plus conséquente.

L’année suivante, le Dr Véron, directeur de l’Opéra, commande à Filippo Taglioni un grand ballet en deux actes, qui sera La Sylphide.

 L’argument, très lointainement inspiré de Trilby ou le lutin d’Argail, de Charles Nodier, l’ancre dans le registre fantastique. Dans ce conte situé en Ecosse (issu du « cycle écossais » de l’auteur), un feu follet, Trilby, est amoureux d’une batelière, Jeannie. L’auteur de l’argument, qui n’est autre que le ténor-vedette de Robert le diable, Adolphe Nourrit, ne garde que l’idée d’un amour impossible entre un esprit surnaturel et un être humain. Il inverse les rôles masculin et féminin, de sorte que le lutin devient une sylphide. Il ne s’agit donc pas d’adaptation d’une œuvre, ni d’une caution littéraire quelconque : mais bien de trouver dans une certaine littérature d’inspiration romantique et folklorique une idée susceptible d’être facilement portée à la scène. 
La Sylphide peut être considéré comme le premier ballet « romantique », dont Giselle constitue l’apothéose. C’est une révolution thématique dans le domaine de la danse, qui n’a pas échappé à Gautier, lorsqu’il écrit :

«  Ce ballet commença pour la chorégraphie une ère nouvelle, et ce fut par lui que le romantisme s’introduisit dans le domaine de Terpsichore. A dater de La Sylphide, les filets de Vulcain, Flore et Zéphyre ne furent plus possibles ; l’opéra fut livré aux gnomes, aux ondins, aux salamandres, aux elfes, aux nixes, aux wilis, aux péris et à tout ce peuple étrange et mystérieux qui se prête si merveilleusement aux fantaisies du maître de ballet. Les douze maisons de marbre et d’or des Olympies furent reléguées dans la poussière des magasins, et l’on ne recommanda plus aux décorateurs que les forêts romantiques, que les vallées éclairées par ce joli clair de lune allemand des ballades de Henri Heine . »

Ce tournant s’accompagne d’innovations techniques et chorégraphiques, dont la plus durablement marquante est l’utilisation des pointes, ainsi que dans le costume. La fascination exercée par La Sylphide et par son interprète, Marie Taglioni, ne peut s’expliquer sans l’invention du chausson de satin, qui permet la montée sur pointes. Certes, Marie Taglioni n’est pas la première à l’utiliser. Certaines ballerines, comme Maria Danislova et Advotia Istomina   à Saint-Pétersbourg, l’ont apprise. Mais Marie Taglioni est la première à l’utiliser de façon véritablement expressive, pour un rôle qui convient parfaitement à ce type de technique, en l’associant à un port de bras souple qui lui confère une grâce éthérée.

La Sylphide correspond également à l’invention, par Eugène Lami, costumier de l’opéra, du « tutu », longue jupe blanche, adaptée des robes de bal de l’époque. Gautier peut donc ajouter :

« On changea le coturne grec contre le chausson de satin. Ce nouveau genre amena un grand abus de gaze blanche, de tulle et de tarlatane ; les ombres se vaporisèrent au moyen de jupes transparentes. » 

Ces innovations dans le costume sont donc une des clés de l’émergence du ballet romantique, au point de donner son nom au type de ballet nouveau qui voit le jour : « Le blanc fut presque la seule couleur adoptée  »,  conclut sobrement  Gautier.
Ainsi, dans l’histoire de la danse,  La Sylphide crée un modèle qu’imiteront bien des ballets du XIX ème siècle : La fille du Danube, Ondine, La Bayadère,  Giselle et les deux actes blancs du Lac des cygnes .

Le "ballet blanc" est né.

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